Décembre 1998, en cette période, le climat est redevenu clément, la saison des cyclones est passée. Les dégâts engendrés par George, le dernier survenu en septembre sont toujours bien visibles. Suite à cette catastrophe, cyclique dans cette partie du globe, l’opportunité de participer à une mission humanitaire nous fut offerte à un ami et moi, et nous l’avons saisi. Il s’agissait d’amener à bon port des vêtements, des denrées non périssables, des médicaments à une association de bienfaisance dominicaine.

ESCALE EN REPUBLIQUE DOMINICAINE

LE PEUPLE DOMINICAIN

La première vision marquante de la République Dominicaine surgie dès l’arrivée à l’aéroport. Après avoir passé la douane et récupéré notre chargement, nous retrouvons un des membres de l’association attendant parmi une gigantesque foule tumultueuse ; tout le monde hèle, gesticule avec en fond une musique latine rythmant ce milieu éberluant et si joyeux. Nous traversons Saint Domingue en pleine animation, nous sommes samedi soir. Puis nous empruntons des routes sombres et détériorées pour arriver à San José de Ocoa, ville située au sud de l’île à 1 000 mètres d’altitude. Le lendemain, le paysage apparaît en plein jour, avec ses montagnes et sa végétation luxuriante, dès lors, accompagné d’un bénévole de l’association, s’entame la visite des villes et villages (très) reculés, et le contact avec la population. Les dominicains affichent une nature chaleureuse et accueillante, tout comme leur environnement naturel, souriant à qui leur sourit. Issus d’un grand métissage (descendants d’Européens et d’esclaves africains), ils ont de beaux visages et un regard lumineux, la peau claire ou mate, les cheveux blonds,  foncés, lisses, crépus. Malgré leur pauvreté, ils sont d’une générosité touchante et un grand sens de l’hospitalité. Affables, ils expliquent et font découvrir leur culture. Les enfants observent avec curiosité, attentifs au nos moindres mouvements, et surtout à nos appareils photo devant lesquels ils adorent poser, le regard interrogateur et désireux de communiquer.
Beaucoup d’habitants ne possèdent aucun pécule, et sont logés dans de petits baraquements faits de murs en bois peints à la chaux, peu d’entre eux bénéficient d’une construction en « dur ». Ne permettant que des conditions d’hygiène précaire, l’eau courante est rationnée, l’eau potable est quant à elle quasi inexistante.

Paradoxalement, beaucoup d’entre eux possèdent un véhicule : truck, berline (parfois dans un piteux état), moto pétaradante (essentiellement importé du Japon), plus polluants les uns que les autre. Sillonnant les rues sans relâche, à coups de klaxon incessants pour signaler leur présence au moindre carrefour. Certains particuliers équipés d’une voiture ou d’une moto se substituent aux taxi et transportent jusqu’à dix personnes à bord pour les uns, 4 à 5 personnes à califourchon pour les autres. Avec une conduite on ne peut plus anarchique. Rien ne les effraie, doubler à gauche ou à droite parfois à 2 en même temps, tout comme traverser les grands axes saturés par la circulation sans plus de visibilité ; parcourir le pays devient vite une épopée.

L’air des grandes villes est vicié. Aucune norme contre la pollution n’est en vigueur. Notre parcours à travers les campagnes était quelquefois bordé d’une décharge posée là, avec une petite maison installée juste à côté, abritant une famille avec vaches, chèvres et chiens, tous jonchés sur cet amas de détritus nauséabond, affairés à trouver leur nourriture.

La République Dominicaine est un pays coloré, dont les maisons peintes en rose, bleu ou encore vert contribuent à égayer les rues bercées en permanences par le Meringue, musique nationale, sortant des maisons et des bars qui rivalisent en décibels, arpentées par des petits cireurs de chaussures. Et puis il y a aussi quelques lieux abritant de jeunes dominicaines se donnant à des étrangers de passage.

UNE ASSOCIATION SALVATRICE

« Pour connaître et parvenir à comprendre le peuple dominicain, il faut être dominicain » nous dit le Padre Luis Quinn, président de l’Association de San José de Ocoa, natif du Canada : « Après avoir vécu quarante années parmi eux je ne parviens toujours pas à les comprendre », et pourtant il n’y a pas un « blanc » plus proche d’eux que lui. Il se bat, il se débat pour la légitimité d’une cause humanitaire essentielle à la survie des dominicains ayant atteint un stade de pauvreté tel, que le terme ne reflète plus leur réalité. Ici il s’agit de la « miseria ». Cette fondation non-gouvernementale ne reçoit que très rarement des subventions de la part de l’état. Elle revendique d’ailleurs cette autonomie indispensable à une honnête viabilité. Son prédécesseur et fondateur de l’association, dénonçant et cherchant à améliorer les conditions de vie d’un peuple annihilé par un gouvernement dictatorial, fut « éliminé ». Le Padre Luis Quinn a repris le flambeau à son arrivée sur l’île, et développé de façon admirable les prémisses de son oeuvre.
Le cyclone George, datant de septembre 1998, bien qu’important, ne fut pas aussi dévastateur que David, souffert en 1979, très meurtrier. Le Nord a été épargné, alors que les dégâts du sud devront attendre encore longtemps avant d’être effacés. Le pays avait réussi à reconstruire son économie et ses paysages ruraux, le voici retombé dans la désorganisation qui lui est familière et si difficile à surmonter. Des logements faits de planches de bois emportés, les arbres couchés, les routes endommagées, des villages rasés. Plus d’électricité, d’eau courante ni potable. Trois mois après la catastrophe, les rivières sont de nouveau taries alors que quelques semaines plus tôt elles formaient des torrents entraînant tout sur leur passage ; faute de choix les habitants reconstruisent à nouveau leurs maisons sur les rives. La quantité de médicaments rapportés de France s’est révélée insuffisante en comparaison de la pénurie à laquelle la population est confrontée. Un manque évident de personnels compétents, de moyens, se ressent au sein de leur hôpital surpeuplé. Certains des services frôlent l’insalubrité et beaucoup d’équipements sont vétustes. Sœur Cécilia, qui vient elle aussi du Canada comme de nombreuses religieuses présentent là-bas, gère les services pédiatrie et maternité, souvent assaillis car très peu d’informations circulent sur les moyens de contraception. Ce n’est pas encore inscrit dans les mœurs dominicaines. Beaucoup de très jeunes filles se retrouvent enceintes, des couples d’une extrême pauvreté ont parfois jusqu’à dix enfants ; qui plus est, l’avortement est illégal…
L’Association regroupe une multitude de personnes engagées, dont la vocation d’aider autrui transparaît. Elle a créé de nombreux emplois (Conducteurs, ouvriers, …) et s’est spécialisée dans toutes les branches nécessaires pour élaborer des projets de construction et d’organisation tels l’agronomie, les techniques d’agriculture appropriées pour exploiter au mieux chaque parcelle de terre cultivable. Une aide internationale est régulièrement dépêchée (actuellement allemande) afin d’enseigner et de superviser les travaux d’aménagement du territoire. Des écoles ont été construites dans la plupart des villages, même les plus reculés. Certaines d’entre elles proposent des cours d’informatique.

Depuis 1980, tout est à reconstruire, énormément dans les campagnes, aussi bien les habitations que les routes qui y mènent, aujourd’hui encore des sentiers sinueux. Aider les paysans, leur apprendre une meilleure façon de cultiver leurs terres, grâce aux cultures en terrasse dans les régions montagneuses. L’agriculture représente un des seuls moyens pour eux de pouvoir se nourrir, s’habiller. Le gouvernement dominicain a entrepris une déforestation alarmante du territoire. A chaque pluie diluvienne, d’énormes glissements de terrains emportent les maisons et les routes s’affaissent dans les ravins. Le dévouement des membres de la fondation, et particulièrement celui du Padre Luis Quinn qui consacré sa vie à pourvoir aux besoins vitaux des plus pauvres, démontre qu’à force d’entêtement on peut parvenir à rééquilibrer les chances de chacun à avoir une vie décente. Un homme d’église véritablement altruiste.

Quant aux éphémères compassions de certains dignitaires, il apparaît que ce n’est que le pansement utile de leur conscience entachée. Mais le peuple n’est pas dupe de ces rares élans de générosité. Cette minorité condescendante affiche un mépris à peine voilé envers la population dont la survie dépend irrémédiablement de cette pseudo-solidarité.

LE PLUS VIEUX PAYS DU NOUVEAU MONDE

Alors que les pays sur-développés et industrialisés vivent dans l’opulence du modernisme insatiable, irrévérencieux et destructeur, des pays tel que la République Dominicaine, dont la vie quotidienne des habitants reste méconnue, se débat contre les intempéries que le climat lui inflige chaque année. Affligé par sa pauvreté endémique, parsemé des vestiges du faste colonial dont la « Zone Coloniale » à Saint Domingue et quelques forteresses disséminées le long des côtes.

Sur ce territoire, des conflits se sont succédés durant quatre siècles entre différents pays : la France, l’Espagne et les Etats-Unis, soutenus consécutivement par l’instauration de dictature permanente, et ce jusqu’en 1994.

1998, c’est le Président Fernandez qui est arrivé au pouvoir, après avoir été élu démocratiquement. La présence de militaires se remarque encore, tel que ce dimanche où le Padre Luis Quinn organisa une grande fête afin de recueillir des dons pour l’association, toujours dans le but de secourir les plus démunis, pour qu’ils puissent eux aussi fêter Noël. Plusieurs chanteurs très connus dans le pays se déplacèrent bénévolement pour l’animer. Un service de sécurité était certes nécessaire, il fut assuré par des militaires, fusil à l’épaule, refoulant les enfants grimpés sur les murs, essayant d’apercevoir leurs idoles. Ceux-ci n’avaient pu se payer un billet d’entrée, alors que l’argent récolté grâce à cette prestation était destiné à leur famille. Dans les grandes villes, des sont postés devant les banques et certains magasins, un fusil à pompe à la main. Les maisons des quartiers aisés sont cadenassées, avec barreaux aux fenêtres et entourées de grilles dorées. Beaucoup de vivent dans de terribles conditions. Leur réalité est souvent méprisée. Pour nous simple passant, il ne s’agissait que d’une escale dans un pays lointain physiquement et moralement.